C'est le bienheureux pape Paul VI qui a tenu à vénérer la Vierge Marie sous le vocable de « Mère de l'Église » au cours du concile Vatican II, le 21 novembre 1964, dans son discours d'approbation de la Constitution dogmatique sur l'Église « Lumen Gentium », tout en ne faisant pas partie de celle-ci. De son côté, le Catéchisme de l'Église catholique a intégré officiellement dans la foi catholique ce vocable riche en signification théologique même s'il n'a pas été le résultat d'un vote lors de ce Concile. Le Catéchisme cite ce vocable dans le commentaire de l'article du Credo sur l'Église : « Je crois à la sainte Église catholique ». À la suite de « Lumen Gentium » au chapitre VIII qui situe la Vierge Marie dans le mystère du Christ et de l'Église, le Catéchisme reprend l'expression « Mère de l'Église » dans le contexte de la vie du Sauveur et au cœur de l'Église. Il convient de se souvenir qu'un certain nombre d'évêques conciliaires avaient souhaité un texte sur la Vierge Marie à part entière. Dans le souffle de l'Esprit, les pères conciliaires choisirent de présenter la Vierge Marie plongée dans le mystère du Christ et comme membre éminent de l'Église.
L'Église, Corps du Christ
Saint Paul, célèbre le Christ « Tête du Corps,
c'est-à-dire de l'Église » (Col 1, 18). Dans son épître aux Colossiens,
l'apôtre des nations appelle l'Église « Corps du Christ » (Col 1,
24). L'image du corps humain avec la tête et ses membres correspond au Christ
total, qui rassemble dans l'unité le Christ, sa Tête, et les chrétiens, ses
membres. Dans son épître aux Corinthiens (1 Co 12, 12.27), saint Paul explique
la dépendance des membres du même corps avec ses différentes fonctions, image
qui s'applique à l'Église, « le Christ répandu et communiqué », selon
la belle formule de Bossuet, où chaque baptisé participe à la vie du Fils de
Dieu en tant que membre vivant de son Corps.
Le Christ ressuscité est devenu inséparable de son
Église. L'Église n'existe qu'unie au Christ, sa Tête. Le Christ et l'Église
forment le Christ total : sa Tête et ses membres. Inutile de parler du
Christ sans son Église. Erreur que d'imaginer l'Église comme existant sans le
Christ.
La Vierge Marie, Mère du Christ, Mère de l'Église
La foi de l'Église prend naissance dans la Bible. La
prière de l'Église manifeste aussi le projet de salut de Dieu pour
l'humanité : « Lex orandi, lex credendi » (« La loi de la
prière est la loi de la foi »). C'est pourquoi il convient de faire appel
à la liturgie de l'Église pour comprendre le mystère de la Vierge Marie. À l'Annonciation,
la Vierge Marie est devenue la Mère du Fils de Dieu fait homme, qui recevra le
nom de Jésus. L'événement de l'Annonciation représente non seulement la
nouveauté de l'Incarnation mais aussi le commencement de l'Église. La liturgie
de cette fête, appelée par certains Pères de l'Église « la fête de la
racine » car cachée et fondatrice, exprime le mystère de l'accueil du Fils
de Dieu « par la foi de Marie » et sa tendresse maternelle envers le
corps de son fils Jésus (cf. Préface de la messe) tandis que la prière sur les
offrandes met en lumière la naissance de l'Église, Corps du Christ :
« L'Église n'oublie pas qu'elle a commencé le jour où ton Verbe s'est fait
chair ».
Si Marie est la mère de Jésus, elle est aussi la
mère de l'Église. Étant la mère de la Tête du Corps elle demeure aussi la mère
du reste du Corps, les membres unis au Christ par la foi et le baptême. S'il
n'est pas possible de séparer la Tête du Corps, il n'est pas possible non plus
de séparer la maternité divine de Marie de sa maternité spirituelle envers le
Corps de son Fils Jésus, l'Église.
Un théologien du XIIe siècle, Isaac de l'Étoile[1], moine cistercien, a su mettre en valeur l'union du Christ et de
l'Église, la maternité de Marie envers le Christ et à l'égard de
l'Église : « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare donc
pas. Ce mystère est grand, je veux dire qu'il s'applique au Christ et à
l'Église. Garde-toi bien de séparer la tête du corps ; n'empêche pas le
Christ d'exister tout entier ; car le Christ n'existe nulle part tout
entier sans l'Église, ni l'Église sans le Christ. Le Christ total, intégral,
c'est la tête et le corps[2]. »
Dans un autre sermon sur l'Assomption, Isaac de
l'Étoile élargit sa réflexion à l'union de Marie et de l'Église dont elle est
la figure : « Les hommes, en eux-mêmes, par leur naissance selon la
chair, sont une multitude ; mais par la seconde naissance, la naissance
divine, ils ne sont avec lui qu'un seul. Le seul Christ, unique et total, c'est
la tête et le corps.
Et ce Christ unique est le Fils d'un seul Dieu, dans
le ciel et d'une seule mère sur la terre. Il y a beaucoup de fils, et il n'y a
qu'un seul fils. Et de même que la tête et le corps sont un seul fils et
plusieurs fils, de même Marie et l'Église, sont une seule mère et plusieurs
mères, une seule vierge et plusieurs vierges. L'une et l'autre ont conçu du
Saint-Esprit, sans attrait charnel (...). L'une a engendré, sans aucun péché,
une tête pour le corps ; l'autre a fait naître, dans la rémission des
péchés, un corps pour la tête. L'une et l'autre sont mères du Christ, mais
aucune des deux ne l'enfante tout entier sans l'autre. Aussi c'est à juste
titre que, dans les Écritures divinement inspirées, ce qui est dit en général
de la vierge mère qu'est l'Église, s'applique en particulier à la Vierge
Marie ; et ce qui est dit de la vierge mère qu'est Marie, en particulier,
se comprend en général de la vierge mère qu'est l'Église.
De plus, chaque âme croyante est également, à sa
manière propre, épouse du Verbe de Dieu, mère, fille et sœur du Christ, vierge
et féconde. Ainsi donc c'est la Sagesse même de Dieu, le Verbe du Père, qui désigne
à la fois l'Église au sens universel, Marie, dans un sens très spécial et
chaque âme croyante en particulier.
C'est pourquoi l'Écriture dit : « Je
demeurerai dans l'héritage du Seigneur ». L'héritage du Seigneur, dans sa
totalité, c'est l'Église, c'est tout spécialement Marie, et c'est l'âme de
chaque croyant en particulier. En la demeure du sein de Marie, le Christ est
resté neuf mois ; en la demeure de la foi de l'Église, il restera jusqu'à
la fin du monde ; et dans la connaissance et l'amour du croyant, pour les
siècles des siècles [3]. »
Au XIIIe siècle, le grand théologien dominicain
saint Thomas d'Aquin voit dans les noces de Cana l'image de l'union mystique du
Christ et de l'Église, union commencée à l'Annonciation : « Ces
épousailles eurent leur commencement dans le sein de la Vierge, lorsque Dieu le
Père unit la nature humaine à son Fils dans l'unité de la personne, en sorte
que le lit nuptial de cette union fut le sein virginal... Ce mariage fut rendu
public lorsque l'Église s'est unie au Verbe par la foi[4]. »
Le Docteur Angélique s'inspire de la pensée de saint
Augustin pour qui le sein de la Vierge Marie est une chambre nuptiale où
s'unissent dans la personne du Verbe la nature divine et la nature humaine.
Pour saint Augustin, le corps de Jésus s'unit à l'Église formant ainsi
« le Christ total tête et corps »[5].
L'Incarnation comporte une dimension ecclésiale.
Marie a accueilli le Verbe au nom de l'humanité et pour l'humanité. Marie,
nouvelle Ève, accomplit la prophétie du livre de la Genèse en écrasant la tête
du serpent par sa foi (cf. Gn 3, 15). Elle est aussi la femme de
l'Apocalypse qui enfante une nouvelle humanité (cf. Ap 12).
La Constitution pastorale sur l'Église dans le monde
de ce temps « Gaudium et spes » enseigne que « par son
Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout
homme » (n°22, 2). Par conséquent, la Vierge Marie est devenue aussi mère
de cette humanité ce qui peut expliquer en partie la dévotion des croyants des
religions non chrétiennes qui se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires
mariaux comme Lourdes ou Notre-Dame de la Garde à Marseille.
Vénérer la Vierge Marie
Plus récemment, le père Marie-Joseph Lagrange
(1855-1938), dominicain, fondateur de l'École biblique de Jérusalem, notait
dans son Journal spirituel au cours de son noviciat au couvent royal de
Saint-Maximin : « La bienheureuse Vierge Marie a détruit dans sa
personne toutes les hérésies : elle est Mère de Dieu, donc, le Fils de
Dieu, Jésus-Christ, n'est qu'une seule personne, et il a deux natures puisqu'il
est aussi vraiment son Fils, né de sa substance[6]. »
L'histoire de l'Église montre aussi comment la
fréquentation de la Vierge Marie dans la prière loin d'éloigner les fidèles du
Christ les a rapprochés avec justesse de son mystère.
Aussi le concile Vatican II exhorte-t-il les
chrétiens à vénérer la Vierge Marie avec amour en lui adressant des prières
d'invocation et en cherchant à imiter sa foi[7].
Il arrive que des sociologues s'étonnent de l'impact
de la spiritualité mariale auprès des chrétiens ayant subi la violence,
l'emprisonnement, la pauvreté et toutes sortes de persécutions. Avec la Vierge
Marie, ils ont gardé la foi au Christ, seul médiateur entre Dieu et les hommes.
Mère spirituelle des chrétiens, Mère de l'Église, la
Vierge Marie, femme au regard pénétrant, active dans son amour, conduit au
Christ comme elle l'a fait aux noces de Cana : « Faites tout ce qu'il
vous dira » (Jn 2, 5).
Notes
[1] Isaac de l'Étoile (1100-1178), moine de
Pontigny, puis abbé de l'Étoile en Poitou, ami de saint Thomas Becket.
[3] Sermon d'Isaac de l'Étoile pour l'Assomption.
Marie et l'Église. La liturgie des heures I. Avent - Noël.II Samedi de l'Avent.
[5] Cf. Jean-Pierre TORRELL, Le Christ en ses mystères. La vie
et l'œuvre de Jésus selon saint Thomas d'Aquin, tome I. Paris. Desclée.
1999.PP. 76-77.
[6] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel.
Paris. Édition du Cerf. 2014. 16novembre 1880. P. 104.
[7] Concile Vatican II. Lumen gentium. Chapitre VIII.
« La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et
de l'Église »,n° 66-67.
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