samedi 4 juin 2016

Comment comprendre les propos du Pape François autour du Diaconat des femmes dans l’Eglise

Photo net de Zenit.
Depuis la dernière rencontre du pape François avec quelques supérieures majeures des Congrégations religieuses réunies à Rome, il n’est plus très rare d’entendre des questions en forme d’affirmations comme : "Êtes-vous au courant du fait que le Pape François est favorable à l’admission des femmes au diaconat ?" "Savez-vous que le Pape François a accepté que les femmes soient ordonnées diacres?"
La confusion dans laquelle plonge la mauvaise interprétation des paroles d’un Pape dont la spontanéité dans certaines de ses réponses est plus que connue, nous oblige à nous poser la question de savoir si le Pape François a réellement dit ce qu’on semble lui attribuer. La réponse sur ce qu’avait dit réellement le Pape ne peut se trouver que dans ses propres paroles. Et, en relisant ces propos, l’on se rend vite compte que le Pape François n’a vraiment pas affirmé ce que certains médias et une certaine opinion disent de lui.
Avant toute chose, il est important de ne pas confondre le diaconat dans l’Eglise primitive (avec la présence des diaconesses) et le diaconat que nous connaissons actuellement dans notre Eglise. Pour s’en rendre compte, l’on pourra lire avec attention l’étude proposée par la Commission Théologique Internationale, sur les difficultés terminologiques du mot diakonos.
Si l’on se passe de cette distinction, il devient tout à fait normal de commettre des erreurs graves du point de vue historique, théologique, ecclésial et même liturgique parce que, même si certaines formes de la Tradition liées à une région ou à une époque particulière parlent des diaconesses, l’on se rend compte que celles-ci assumaient des fonctions différentes des celles des diacres de l’Eglise d’aujourd’hui.
Il sied aussi de rappeler, en passant, qu’une des pratiques importantes qui suscita la nécessité de la présence des diaconesses dans l’Eglise primitive, c’est le baptême par immersion des femmes et filles. A l’époque, celui ou celle qui recevait le baptême entrait nu dans l’eau. Pour des raisons de pudeur donc, l’homme plongeait le nouveau baptisé nu dans l’eau du baptême tandis que la diaconesse (femme) faisait de même avec la nouvelle baptisée. Cette pratique est du reste rappelée par le Pape François lors de son discours-entretien avec les religieuses lorsqu’évoquant un prêtre théologien, il dit: "que le rôle des diaconesses était d’aider lors du baptême des femmes, l’immersion, elles les baptisaient elles, pour la bienséance, également pour faire les onctions sur le corps des femmes, lors du baptême. Et il y a aussi une chose curieuse : lorsqu’il y avait un jugement matrimonial car le mari battait sa femme et que celle-ci allait se plaindre auprès de l’évêque, les diaconesses étaient chargées de constater les bleus laissés sur le corps de la femme par les coups du mari et en informer l’évêque. Je me souviens de cela".


Force est de constater en outre que les textes liturgiques les plus anciens ne restent pas du tout muets sur cette pratique. En effet, "la diaconesse doit procéder à l’onction du corps des femmes lors du baptême, instruire les femmes néophytes, visiter chez elles les femmes croyantes et surtout les malades. Il lui est interdit de conférer le baptême lui-même ou de jouer un rôle dans l’offrande eucharistique".

Il paraît donc clair que sur la question du diaconat féminin, nous ne pouvons nous conformer de ce qu’on raconte ça et là sur des propos qu’aurait tenus le Pape François. Nous invitons donc les lecteurs à lire les paroles du Pape avant d’émettre tout point de vue.
En parcourant attentivement ces paroles du discours-entretien du Pape avec les Supérieures Générales, l’on ne voit nulle part où le Pape affirme avoir l’intention d’introduire l’ordination des femmes au diaconat.
De fait, le Pape s’était simplement et ce, en toute spontanéité, contenté de dire qu’il est favorable à la création d’une Commission d’étude sur le diaconat permanent dans l’Eglise tout en rappelant qu’il existe déjà des études là-dessus. En clair, le Pape dit : "Il y a quelques publications sur le diaconat dans l’Église, mais les éléments permettant de comprendre ce qu’il a été sont peu clairs. Je crois que je demanderai à la Congrégation pour la doctrine de la foi qu’ils m’informent des études sur ce thème, car je vous ai répondu uniquement sur la base de ce que j’avais entendu de ce prêtre qui était un chercheur érudit et fiable, sur le diaconat permanent. Et je voudrais de plus constituer une commission officielle qui puisse étudier la question : je crois qu’il fera du bien à l’Église d’éclaircir ce point ; je suis d’accord, et j’interviendrai afin que quelque chose de ce genre soit fait".
Comme l’on sait bien le constater, être favorable à la création d’une Commission d’étude sur le sens du diaconat permanent est tout à fait différent de l’ordination diaconale des femmes comme le voudrait une certaine opinion aujourd’hui. La création d’une Commission d’étude telle qu’affirmée par le Pape François consistera, certainement, à clarifier ce qu’était réellement ce diaconat dans l’Eglise ancienne.

Le contexte des propos du Pape François : Rappel des faits

Concrètement, c’est lors du discours-entretien du Pape François avec près de 900 représentantes de l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG, en sigle) à Rome en mai dernier, que celles-ci avaient posaient des questions qu’elles considéraient urgentes.
Et parmi les questions posées, l’une d’elles, relative à une meilleure insertion des femmes dans la vie de l’Eglise, dit exactement ceci :  "Pape François, vous avez dit que « le génie féminin est nécessaire dans toutes les expressions de la vie de l’Église et de la société » ; toutefois, les femmes sont exclues des processus décisionnels dans l’Église, surtout aux plus hauts niveaux, et de la prédication lors de l’Eucharistie. Le lien que les processus décisionnels et la prédication ont avec l’ordination sacerdotale constitue un frein important à la pleine réception par l’Église du « génie féminin ». Voyez-vous un moyen de séparer de l’ordination aussi bien les rôles de leadership que la prédication lors de l’Eucharistie, de façon à ce que notre Église puisse être plus ouverte au génie des femmes, dans un avenir très proche ?"

Dans sa réponse à cette préoccupation des religieuses, le Pape, avec son calme et sa gentillesse légendaires, commence par inviter ses interlocutrices à savoir distinguer plusieurs notions contenues dans la même question. Un exercice auquel s’applique le Saint Père lui-même avant de les exhorta à éviter les risques du féminisme et de la servitude qui, n’a rien à voir avec le service dans l’Eglise. Il invita les religieuses à être des mystiques, et non des momies ; qu’elles donnent de l’espace juste au repos et s’occupent avec beaucoup d’attention des religieuses malades ainsi que celles de troisième âge...
Dans leur deuxième question posée au Pape, les religieuses demandent pourquoi l’Eglise (ndlr : d’aujourd’hui) exclu-t-elle les femmes à servir comme diacres. A cet effet, les religieuses s’appuient sur l’existence des diaconesses dans l’Eglise primitive afin de formuler leur question au Pape. La question des religieuses dit: "Les femmes consacrées travaillent déjà beaucoup avec les pauvres et avec les personnes marginalisées, elles enseignent la catéchèse, accompagnent les malades et les mourants, elles distribuent la communion, dans de nombreux pays, elles guident des prières communes en l’absence de prêtres et dans ces circonstances, elles prononcent l’homélie. Dans l’Église, il y a le bureau du diaconat permanent, mais il est ouvert uniquement aux hommes, mariés ou non. Qu’est-ce qui empêche l’Église d’inclure les femmes parmi les diacres permanents, comme cela se faisait dans l’Église primitive ? Pourquoi ne pas constituer une commission officielle qui puisse étudier la question ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples selon vous d’une meilleure insertion des femmes et des femmes consacrées dans la vie de l’Église ?

En réponse à cette deuxième question, le Saint Père souligne que:  "Je demanderai — et je le ferai sans doute arriver à la présidente — à la Congrégation pour le culte de bien expliquer, de manière approfondie, ce que j’ai dit de façon un peu légère sur la prédication lors de la célébration eucharistique. Car je n’ai pas la théologie et la clarté suffisantes pour l’expliquer maintenant. Mais il faut bien distinguer : la prédication dans une liturgie de la Parole est une chose, et cela peut se faire ; la célébration eucharistique en est une autre, il y a là un autre mystère. C’est le Mystère du Christ présent et le prêtre ou l’évêque qui célèbrent in persona Christi".
Pourquoi ne pas constituer une Commission Officielle qui pourra étudier la question ?
C’est donc en répondant à cette partie de la deuxième question-préoccupation des religieuses que le Pape rappelle que l’ancien rôle des diaconesses n’a jamais été très clair. Et, parlant d’un ton on ne peut plus fort, le Pape se pose ces questions:
"Mais que sont ces diaconesses ? Avaient-elles l’ordination ou pas ? Le Concile de Chalcédoine en parle (451), mais c’est peu clair".

Dans une tentative de répondre à ses propres questions ainsi formulées, le Pape François ira jusqu’à dire qu’il était disposé à créer une Commission d’étude sur la question. Faut-il “constituer une Commission Officielle en vue d’étudier la question ? Je crois que je demanderai à la Congrégation pour la doctrine de la foi qu’ils m’informent des études sur ce thème, car je vous ai répondu uniquement sur la base de ce que j’avais entendu de ce prêtre qui était un chercheur érudit et fiable, sur le diaconat permanent. Et je voudrais de plus constituer une commission officielle qui puisse étudier la question : je crois qu’il fera du bien à l’Église d’éclaircir ce point ; je suis d’accord, et j’interviendrai afin que quelque chose de ce genre soit fait".

Point n’est donc besoin de dire ici qu’en choisissant de répondre ainsi, le Pape François est bien conscient de la différence existante entre les fonctions du diacre dans l’Eglise primitive et celle du diacre aujourd’hui car, les renseignements contenus à ce sujet dans les textes anciens sont très loin de se rapprocher de la réalité du diaconat entant que premier degré du sacrement de l’ordre.
De fait, dans l’Eglise primitive, "les diacres administrent les biens de la communauté au nom de l’évêque. Comme l’évêque, ils sont entretenus à ses frais. Les diacres sont appelés l’oreille et la bouche de l’évêque. Le fidèle doit passer par eux pour accéder à l’évêque, et de même les femmes doivent passer par les diaconesses".

Au demeurant, le Pape ne s’était "engagé" qu’à la possibilité de créer une Commission capable d’étudier la question du diaconat permanent. Cependant, cet engagement ne signifie pas d’emblée que le Pape François soit favorable à l’ordination diaconale des femmes dans l’Eglise d’aujourd’hui.
Doit-on encore faire remarquer que l’étude sur le diaconat permanent dans l’Eglise est une chose et, que l’ordination des "femmes-diacres" dans l’actuelle Eglise en est une autre ? Deux approches tout à fait différentes. Aussi, faut-il rappeler que le pape lui-même prend soin de dire aux religieuses que "l’on peut étudier davantage et mieux expliquer ce que je viens de dire de façon très rapide et un peu simple" ?

Dans le contexte de la mauvaise interprétation des propos du Pape François, nous pensons qu’il soit indispensable d’évoquer trois choses importantes :

Primo: La Commission Théologique Internationale qui s’était déjà penchée sur la question du diaconat avait conclu que les fonctions des diaconesses dans l’Eglise primitives ne sont pas équivalentes au diaconat actuel car, "concernant l’ordination de femmes au diaconat, il faut observer deux éléments importants résultant de ce que nous avons exposé. Premièrement, les diaconesses dont il est fait mention dans la tradition de l’Église ancienne (selon ce que le rite d’institution et les fonctions exercées suggèrent) ne peuvent pas être assimilées purement et simplement aux diacres. Deuxièmement, la tradition ecclésiale, surtout dans la doctrine du concile Vatican II et dans l’enseignement du Magistère postconciliaire, souligne fortement l’unité du sacrement de l’Ordre, dans la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres d’une part et le ministère diaconal d’autre part. À la lumière de ces éléments mis en relief par la présente recherche historico-théologique, il revient au ministère de discernement que le Seigneur a établi dans son Église de se prononcer avec autorité sur la question".

Secundo : La même Commission Théologique Internationale affirme que "l’unité du sacrement de l’ordre, dans la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres d’une part et le ministère diaconal d’autre part", est fortement soulignée tant par la Tradition ecclésiale que par la doctrine du Concile Vatican II.

Tercio : Depuis le début de son pontificat, le Pape François a déjà répété plusieurs fois que la possibilité de l’ordination sacerdotale des femmes est un thème déjà traité et résolu dans l’Eglise catholique romaine.
Ceci étant, le Pape François n’a jamais cessé de rappeler, comme ce fut encore le cas dernièrement lors de sa rencontre avec les Supérieures Générales à Rome, l’importance de l’implication des femmes dans les différentes instances de prise des décisions de l’Eglise. Il évident que les femmes doivent avoir de la voix dans l’Eglise cependant, il serait erroné de penser que pour former partie du gouvernement de l’Eglise qu’il soit nécessaire, pour les femmes, d’être ordonnées diacres ou passer par un autre type d’ordination. Ceci, parce qu’il n’est nulle part écrit que seuls ceux ayant reçu le sacrement de l’ordre sont habilités à occuper un "poste important de gouvernement" dans l’Eglise.
D’ailleurs, la proposition du pape François d’avoir plusieurs femmes avec des charges de responsabilité au niveau des paroisses, des diocèses et même du Vatican en dit beaucoup.

De plus, plusieurs charges occupées traditionnellement par des ecclésiastiques n’exigent ni une ordination diaconale ni presbytérale ni épiscopale. C’est d’ailleurs une des affirmations fortes qu’assume le Pape François en disant qu’: "On doit aller plus loin, car pour de nombreux aspects des processus décisionnels, l’ordination n’est pas nécessaire".

Par ailleurs, participer à la prise des décisions dans le gouvernement de l’Eglise est un droit reconnu à chaque chrétien. C’est le droit de tous les baptisés (hommes et femmes) car, l’Eglise vit aussi de la coresponsabilité des tous les chrétiens (ordonnés, religieux et laïcs).

Par Carlos Ndaka Salabisala